Depuis les années 1980, les Etats d'Afrique sub-saharienne ont connu un net recul de leur capacité d'investissement dans le secteur agricole, dans l'appui aux producteurs familiaux (intrants, équipements) et dans le contrôle et le soutien des prix agricoles sur leur marché intérieur. Dans ces économies où l'agriculture occupe toujours une place importante, la question de la sécurité alimentaire demeure intacte, ravivée par la crise alimentaire de 2008, tout comme celle des exportations agricoles source de devises, dans un contexte de prix agricoles mondiaux fluctuants mais plutôt à la hausse après plusieurs décennies de très forte baisse.
Ce contexte économique et politique semble s'avérer favorable à des flux croissants de capitaux étrangers et d'investissements privés nationaux en direction du secteur agricole. Si l'agriculture en régie et l'agriculture contractuelle ne sont pas nouvelles dans ces pays, elles connaissent en revanche un nouvel essor qui invite à étudier les modalités de développement de ces agricultures entrepreneuriales et les relations qu'elles établissent avec les agricultures locales.
Ces relations peuvent être étudiées pour différents degrés d'intégration entre agriculture familiale et agriculture entrepreneuriale : coexistence, agriculture contractuelle sous ses différentes formes, salariat agricole parfois associé à l'éviction complète des agriculteurs locaux de leurs terres... Ces relations sont-elles évolutives selon le contexte économique (niveaux des prix, rentabilité relative et risques financiers encourus) ? Variables selon les modes de gouvernance des ressources et les cadres de politique agricole dont se sont dotés les Etats et les collectivités locales ?
Seront analysées ici les concurrences et les complémentarités qui s'établissent dans l'accès aux ressources (terre, eau, main d'œuvre, capital...) et aux marchés agricoles de ces deux grandes formes d'agriculture aux logiques économiques et aux rythmes d'accumulation très différents. On s'attardera notamment sur leurs effets pour l'agriculture familiale : évolution du revenu agricole, des inégalités sociales, de la robustesse des systèmes de production à court (aléas des prix, du climat...) et moyen terme (sécurisation de l'accès à l'eau, au foncier, de la tenure...).
On s'interrogera enfin sur l'impact des modèles de développement porteurs aujourd'hui de l'essor de ces agricultures entrepreneuriales et promus par les agences de développement internationales, notamment les Partenariats Publics-Privés (PPP) censés permettre d'alléger les dépenses publiques et favoriser des rapports « gagnant-gagnant » entre entrepreneurs extérieurs et populations locales.
Ces questions seront analysées grâce à : (1) des études de cas concrets en Afrique sub-saharienne, retenues pour leur caractère contrasté et archétypique, dans différents contextes agro-écologiques et pour des projets en cours ou en prévision (avec aménagements éventuels), en veillant tout à la fois à couvrir la diversité des formes d'agriculture entrepreneuriale et des liens établis ou envisagés avec l'agriculture locale, et à refléter les modèles de développement et les objectifs et cadres de politique agricole sous-jacents, envisagés au sens large (politiques tarifaire, foncière, d'appui à la production...) ; (2) des analyses comparatives et transversales, à partir d'études de cas concrets, permettant de tirer des enseignements de portée générale quant à ces processus.