Reverdissement et reboisement perçus et réels : du Sahel aux mangroves
Julien Andrieu  1@  , Luc Descroix  2@  
1 : UMR ESPACE  (ESPACE)  -  Site web
CNRS : UMR7300
98 boulevard Edouard Herriot 06205 Nice Cedex -  France
2 : Patrimoines Locaux  (PALOC)  -  Site web
Institut de recherche pour le développement [IRD] : UMR208, Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN)
UMR 208 "Patrimoines Locaux" - Muséum National d'Histoire Naturelle - Laboratoire d'Ethnobiologie - 1er étage - 43 rue Cuvier - 75005 Paris -  France

La plupart des études récentes par télédétection montrent que le Sahel reverdit, avec quelques exceptions comme l'ouest du Niger ; on observe un pseudo-consensus scientifique sur ce point. Dans les littoraux sahéliens, une majorité des études montrent que les mangroves regagnent les terrains perdus par hyper-salinisation durant la période sèche 1968-1995. On peut attribuer l'un et l'autre au retour des précipitations aux alentours de leur niveau moyen centenaire, depuis 1995. Il est remarquable que cette évolution progressive de la végétation et de ses ressources, se fait en même temps que s'accentue la pression démographique.

Or, les enquêtes semblent souvent montrer, que les populations concernées ne perçoivent pas cette reconquête végétale :

- au Sahel, les agriculteurs et acteurs de la vie rurale racontent le plus souvent que leur environnement continue de se dégrader ; les agriculteurs ne parlent pas de progression de leurs rendements culturaux, les éleveurs se plaignent de la piètre qualité des pâturages ;

- dans les vasières de la côté atlantique, l'érosion côtière, réelle et accélérée ces dernières années, peut donner aux habitants l'impression d'une dégradation de leur environnement sans que la forte progression récente de la mangrove (naturelle à plus de 90%) ne semble être perçue. En outre, l'efficacité (récente) des reboisements, réalisés aux endroits les plus visibles (en face des villages) et largement médiatisés, véhiculent une perception d'un espace que l'homme avait dégradé puisque l'homme peut le restaurer, laquelle perception est étroitement associée à un environnement qui continue à se dégrader puisqu'on en exploite encore les ressources. 

Dans ces deux cas, les acteurs du développement (élus, ONG, etc) relaient toujours cette information négative, tout comme avec la poursuite de la sécheresse ou l'épuisement des ressources. Acteurs et habitants semblent unanimes pour dire que « c'était mieux avant !! ». Les enquêtes, lorsqu'elles sont réalisées sous forme de courts entretiens ou de questionnaires, récoltent ainsi, systématiquement, d'abord le discours « récité » de la reproduction des programmes de sensibilisation des acteurs de la conservation des ressources ou de la protection de l'environnement.

Seules des enquêtes approfondies, comprenant de l'immersion, de la confrontation des discours au terrain permettent parfois d'obtenir des discours reflétant d'autres opinions qui divergent des discours de sensibilisation, opinions volontairement gardées sous silence ou exprimées dans des cercles réduits.

On se propose ici de tenter d'y voir plus clair, en s'appuyant sur des observations de terrain et des résultats d'enquêtes, afin de comprendre le décalage entre réalité du terrain et perception par les sociétés ainsi qu'entre les premiers discours et ceux issus de procédures d'entretien plus longues. Des exemples de divergence de discours entre acteurs d'un même village et de divergences de discours de la part d'une même personne interrogée seront mis en relation avec les observations du terrain. Ceux-ci témoignent de questions complexes sur les temporalités de la perception (mémoire des évènements, perceptions des tendances longues) et les échelles spatiales de la perception (importance donnée à des petits phénomènes spatiaux, selon des valeurs culturelles).


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