L'idée d'une diaspora africaine apparaît dans les années 1960 et prolifère rapidement dans la littérature scientifique (Dufoix 2003). Rogers Brubaker retient trois critères distincts pour identifier ce phénomène : la dispersion d'une population loin de son territoire d'origine, une orientation claire en direction de ce dernier et le maintien de frontières identitaires marquées (Brubaker 2005). Prenant appui sur cette définition a minima, cette communication reviendra sur la constitution d'une proto-diaspora djiboutienne dans le Sud de la France, à travers l'étude de l'Amicale des Originaires de la Côte française des Somalis.
Fondée en 1948 sous la forme d'un syndicat œuvrant pour l'amélioration des conditions socio-professionnelles de ses membres, cette Amicale évolue au gré des mutations politiques et techniques de son temps.
Sa fondation doit d'abord être appréhendée dans le contexte de l'essor politique de la colonie, que la création du Conseil Représentatif de la Côte Française des Somalis et Dépendances tend à accélérer notablement. L'Amicale s'inscrit activement dans les enjeux de l'après-guerre, non seulement au profit de ses adhérents, mais également avec l'ambition d'influencer le sort de ce qui apparaît déjà comme une communauté nationale traversée par d'importantes dynamiques d'inclusion et d'exclusion. Elle témoigne également de l'affirmation et de l'enchevêtrement des ambitions politiques personnelles et communautaires après 1945.
En second lieu, ce rassemblement nous conduira à interroger l'évolution du référentiel identitaire djiboutien dans les années 1940, en lien avec le développement du nationalisme somali. L'Amicale constitue, dès son origine, un groupe étroitement surveillé, suspecté de chercher à rallier tous les Somalis de France et d'Afrique du Nord au bloc somali anglo-italo-abyssin. Identifiées par le SDECE et les services de la Sûreté, les circulations entre l'Amicale et les comités affiliés à la « Somali Youth League » démontrent la perméabilité de ces organisations. Elles accréditent également la thèse du rôle actif joué par les marins résidant à Marseille dans l'écriture mouvementée de l'identité djiboutienne, en lien avec la notion de nationalisme à longue distance (Anderson 1983).
Susceptible d'éclairer au sens large le rôle politique des diasporas africaines, cette communication permettra de mettre en lumière un pan inédit de l'histoire de la Côte française des Somalis et d'interroger le rôle joué par les Djiboutiens "d'outre-mer" dans la construction nationale et le cheminement du territoire vers l'indépendance. Cette étude s'inscrit ainsi dans le champ d'un plus vaste programme scientifique dédié à l'écriture de la « djiboutienneté » au cours du XXe siècle. Elle prend également appui sur des travaux explorant les circulations et les pratiques des marins africains dans la cité phocéenne (Bertoncello et Brédeloup 1999).