S'affranchir de l'épistémè occidentale, ou comment décoloniser la pensée africaine de l'économie.
Richard Makon Ma Mbeb  1@  
1 : Université de Yaoundé II

L'Afrique souffre d'un important déficit de pensée à même, d'une part de favoriser l'avènement d'une conception endogène de la vie, de l'humain, de la société et du progrès, d'autre part de fonder la production de ses propres métaphores tant du passé, du présent que du futur, et d'inspirer l'élaboration d'un projet authentique de société et de civilisation. Les récits de la quotidienneté africaine semblent prisonniers de la double dialectique perpétuelle de l'enchantement et du désenchantement, de l'espoir déçu et du désespoir vaincu, qui décrivent, représentent ou projettent le continent soit en de termes optimistes, soit en de propos pessimistes, sans généralement rassurer d'une objectivation prenant source dans une trajectoire épistémologique identifiable.

Ce déficit de pensée, assimilé par certains à une crise de la rationalité, fait subir à l'Afrique la verticalité des modèles dominants, la dictature à la fois du prêt-à-penser, des programmes en dissidence avec sa réalité quotidienne et des concepts empruntés de l'épistémè d'autres civilisations. La pensée africaine de l'économie, en l'occurrence la pensée développementaliste, traduit à suffisance ce déficit, à travers par exemple l'emprunt des concepts fondamentaux de l'épistémè occidental que sont développement, croissance économique, émergence économique entre autres, ontologiquement empreint d'économisme et fortement articulés au néolibéralisme.

Décoloniser la pensée africaine passe par une réappropriation du droit de penser, de se penser et de penser l'autre ; de s'inventer, de se projeter et de s'affirmer. La décolonisation vitale de l'économie africaine ne peut évidement se réduire à la revendication de la révision des dispositifs financiers, commerciaux et/ou industriels de l'économie mondiale, ni à la contestation de la structure des systèmes financier, économique et commercial qui les sécrètent. La décolonisation de l'économie africaine a pour point de départ la décolonisation de la pensée africaine de l'économie et du progrès qu'il faut impérativement sortir, entre autres, de l'économisme et de la camisole néolibérale. Cette décolonisation emprunte la voie de la réfutation ou du moins une reproblématisation de ces concepts de l'épistémè occidental qui consacre la victoire de l'homo œconomicus sur l'humain, le quantitatif sur le qualitatif, l'avoir sur l'être.

La présente communication soutient l'idée selon laquelle le premier lieu de confrontation dans lequel l'Afrique se retrouve projeté est celui de l'épistémè. Elle ambitionne de démontrer que la contradiction radicale entre les concepts et les modèles de développement importés et la façon africaine de penser et de se représenter le monde justifie, pour une grande part, l'errance actuelle du continent. Son essor économique dépend dès lors, dans un premier temps, de sa capacité à s'émanciper, dans un second temps, de sa détermination à donner de l'amplitude à son épistémè. 


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