ONGisation » des mouvements sociaux au Sénégal : l'exemple du mouvement Y en a marre
Saliou Ngom  1@  
1 : laboratoire de recherche sur les transformations économiques et sociales (IFAN)  (LARTES)

De 2011 à 2012, le contexte politique sénégalais fût marqué par un fort mouvement de contestations initié par de nouveaux mouvements sociaux. Le contexte des mobilisations dans le monde arabe comme la tenue du forum social mondial à Dakar en 2011 ont contribué à amplifier le mouvement. De la réforme constitutionnelle de 2011 au référendum constitutionnel du Président Macky Sall en 2016, en passant par la candidature à la présidentielle d'Abdoulaye Wade, leurs capacités de mobilisation ainsi que le profil nouveau de leurs membres, la mobilisation des « ressources symboliques » de proximité dont ils disposent, en ont fait des acteurs incontournables dans le champ de la contestation politique depuis 2011.

La particularité de ces nouveaux mouvements, dont « Y en a marre » est le plus actif, réside aussi bien dans le profil de ses acteurs (rappeurs, artistes issus des banlieues etc.) qui semblait remettre en cause l'hégémonie politique des élites lettrées « francisants » et du capital scolaire qui tiennent la « démocratie des lettrés » au Sénégal, que dans le « répertoire d'actions » que les acteurs politiques, au sens partisan du terme, n'avaient jusque-là pas investi.[1] Entre 2012 et 2014, les militants de ces organisations comme certains spécialistes, parlent d'émergence d'un nouveau type de sénégalais (NTS) pour caractériser ces transformations radicales qui affectent l'espace politique sénégalais.

Mais de plus en plus, leurs relations avec les acteurs politiques et leurs sources de financements, qui sont en partie les conséquences de l'internationalisation et de l'ONGisation, font de plus en plus l'objet de débats clivant dans leur action.

En se basant sur des entretiens avec des membres du mouvement et des acteurs politiques, l'analyse de leur discours public, cette contribution questionne les transformations d'un mouvement social, « Y en a marre », de 2011 à nos jours. En d'autres termes, peut-on (toujours), compte tenu de ces nouvelles configurations, parler d'un mouvement social si l'on sait que l'existence d'un mouvement social implique une «interaction conflictuelle avec les autorités, soutenue dans le temps»[2]. C'est donc les dynamiques de «professionnalisation » des mouvements sociaux et leurs conséquences sur la domestication des mouvements sociaux que nous interrogeons. Comment des logiques dé-radicalisation de la contestation, de « domestication » de la cause et de bureaucratisation qui renforce son image organisationnelle (structuré, hiérarchisé, avec des locaux etc.) et internationale, s'imbriquent dans l'action contestataire du mouvement Y en a marre.

 


[1] On peut à ce propos citer les campagnes nationales pour inciter les jeunes à aller s'inscrire sur les listes électorales.

[2] Siméant J., «La transnationalisation de l'action collective », in Éric Agrikoliansky et al, Penser les mouvements sociaux, La Découverte « Recherches », p. 121-144.


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