En Afrique subsaharienne, l'individu diffuse l'information sensible en frappant celle-ci d'un sceau d'anonymat afin que les éventuels effets néfastes à venir ne lui soit pas imputable. L'information peut trivialement porter sur la grossesse d'une fille du collège, la nomination imminente d'un haut fonctionnaire ou encore la disparition étrange d'un voisin du quartier. Le quotidien africain est ainsi habitué aux expressions telles que :
« J'ai suivi qu'il ne rentre plus [...] Je ne t'ai moi rien dit... comprend seulement que c'est gâté là-bas [...] Il parait qu'on va supprimer cela bientôt., c'est ce que certaines personnes disent, moi je ne sais pas ».
La sociologie interactionniste qualifie ainsi de rumeurs, ces activités collectives qui mobilisent différents répertoires d'énonciation, types d'énonciateur, contextes sociaux et strategies d'acteurs[1]. En tant que fait social normal, la rumeur se structure autour d'une information à la véridicité incertaine mais qui se forme telle une boule de neige, circule telle une traînée de poudre et façonne le réel. Sa pertinence réside dans le fait qu'elle peut dans certains contextes devenir un rival de l'information officielle. Transposée dans l'étude des mouvements sociaux, la rumeur devient une ressource mobilisable dans la production de la contestation politique. L'avènement du numérique transforme radicalement le rapport qu'ont les mouvements sociaux à la rumeur et ce faisant, complexifie la contestation politique. Nous posons principalement en hypothèse que la rumeur est une ressource stratégique qui féconde l'action historique des mouvements sociaux africains et qui en contexte du numérique gagne de l'épaisseur et pèse sur les cycles de contestation. La rumeur dans les mouvements sociaux africains à l'ère du numérique peut être lue comme une caution idéologique de l'action contestataire. Nous voulons montrer que, qu'elle soit vraie ou fausse, la rumeur produit dans les mouvements sociaux des effets lorsqu'elle est crédible. Nos données sont issues de l'analyse de la circulation des informations dans les réseaux sociaux africains lors des campagnes contre les Accords de Partenariats Economiques [APE] et la monnaie du Francs CFA, ces 05 dernières années. Cette communication s'inscrit dans un contexte plus large de l'étude des Mouvements sociaux africains à l'ère du numérique. Elle s'article en 03 points : l'idée de la propagation de la rumeur dans les réseaux sociaux ; l'idée de son rôle dans la cyber-contestation ; et l'idée de sa réception par l'Etat.
[1] Philippe Aldrin, Sociologie politique des rumeurs, Paris, Presses universitaires de France, 2005, 289 p. voir aussi The Deadly Ethnic Riot. By Donald L. Horowitz. Berkeley : University of California Press, 2001. 605p