La nuit tous les chats sont gris. Explorer la nuit ouagalaise aux côtés des jeunes vivant dans la rue (Ouagadougou)
Muriel Champy  1@  
1 : Université Paris Ouest Nanterre
LESC

Les jeunes vivant dans la rue à Ouagadougou — appelés les bakoroman — ne cessent durant la journée de se déplacer le long des grands axes de circulation, dans les marchés ou les lieux de culte avec des moments de repli dans les zones inhabitées afin de faire une sieste ou consommer de la colle, du cannabis et de l'héroïne en toute discrétion, principalement dans les friches du projet ZACA. Censée accueillir un projet immobilier sur une superficie de 200 hectares et faire de ce quartier central la vitrine de la modernité ouagalaise, la mise en œuvre particulièrement lente du projet a laissé place pendant une dizaine d'années à un immense terrain vague en plein centre-ville où les bakoroman et autres délinquants pouvaient aisément dissimuler leur présence. Mais, qu'il s'agisse de mendier ou de faire les poches des noctambules éméchés, c'est bien la nuit qu'ils concentrent l'essentiel de leurs activités rémunératrices.

Durant la journée, les nombreux bakoroman qui ont établi à Dapoya leurs quartiers nocturnes désertent entièrement ce quartier résidentiel et populaire, abritant essentiellement de grandes cours familiales en banco d'installation relativement ancienne. Ils y reviennent cependant dès la tombée de la nuit, lorsque certaines de ses rues se transforment en un point nodal de la prostitution et de la fête ouagalaise, principalement concentré autour du célèbre dancing « le Matata » et des chambres de passes avoisinantes. Ils profitent alors de la relative licence des mœurs et de l'animation nocturne pour afficher ouvertement leur marginalité, espérant que les excès des noctambules les rendront plus tolérants envers les écarts des bakoroman — qui sniffent souvent ouvertement de la colle à quelques mètres du Matata — et les convaincront même de leur donner une petite aumône ou des restes de nourriture, malgré l'opprobre suscitée par leur comportement scandaleux.

En suivant les déplacements nocturnes et diurnes des bakoroman de Dapoya et en analysant la nature des relations qu'ils entretiennent avec les noctambules, nous verrons de quelle façon le paysage nocturne accroît leur champ d'opportunités et concentre ainsi l'essentiel de leur rêve d'approcher « les lumières de la ville ».


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