Les barrières économiques à la consommation de soins de santé, notamment les soins maternels, sont particulièrement saillantes dans les pays africains à faibles revenus, où les dépenses de santé restent majoritairement supportées par les ménages – et plus difficilement encore par les ménages les plus vulnérables, pour lesquels le recours aux services de santé constitue un risque d'appauvrissement important. Porté par des « réussites » sud-américaines, le mécanisme de transfert monétaire conditionnel (ou conditional cash-transfer), « allégé » de ses spécificités contextuelles par ses promoteurs, s'invite aujourd'hui sur la scène publique africaine et convoie de grands espoirs d'amélioration des conditions de vie pour les populations vulnérables, y compris en matière de santé. Ce mécanisme est perçu comme une alternative crédible aux programmes nationaux d'exemption de paiement qui n'ont pas su répondre entièrement aux attentes escomptées et ont conduit à certains effets pervers, notamment sur la qualité des soins prodigués. Le Sénégal teste actuellement, avec l'appui de la Banque mondiale, un nouveau programme de transferts monétaires conditionnels – dénommé « financement basé sur les résultats (FBR) demande » – qui cible les femmes vulnérables et vise la stimulation de la demande et l'amélioration de l'accès aux soins maternels. Il entend lever partiellement les barrières économiques à la consommation de soins maternels en augmentant les capacités financières des bénéficiaires.
Cette communication vise à étudier la mise en œuvre du programme de FBR-demande du point de vue de ses bénéficiaires et des acteurs d'exécution, et à dégager les éventuels gaps d'implantation et écarts normatifs. A cette fin, nous avons en premier lieu reconstruit la théorie de l'intervention FBR-demande qui décrit sa logique et permet de mettre en évidence les effets attendus conséquemment à l'intervention. Puis, puisque l'atteinte de ces effets dépend d'une part de sa réelle implantation, d'autre part des interactions entre l'intervention et son contexte de mise en œuvre, nous avons ensuite mis la théorie de l'intervention à l'épreuve du terrain local. Nous avons pour ce faire mené des entretiens semi-directifs auprès d'acteurs clés de la mise en œuvre, à savoir d'un côté les femmes bénéficiaires du FBR-demande et de l'autre les agents d'exécution du programme. Les entretiens réalisés nous ont permis de mettre en évidence un certain nombre de gaps tant d'implantation que normatifs, relatifs notamment à la gouvernance financière, à la définition de vulnérabilité, à l'action collective de répartition des bénéfices dans le village, aux « coping strategies » et aux pratiques de consommation des femmes bénéficiaires, qui handicapent l'atteinte des effets attendus du programme. Enfin, nous clôturons notre communication par une réflexion plus globale sur les conditions de mise en œuvre d'interventions « clés en mains » promues par certains organismes internationaux érigés en banque de connaissances qu'ils « diffusent » largement sur le « marché » de la politique publique, en ignorant parfois les contextes d'implantation.