Des « enclaves sociosanitaires » à l'épreuve des politiques globalisées de santé. Socio-anthropologie d'un programme de prise en charge d'adolescents vivant avec le VIH au Sénégal
Fabienne Hejoaka  1@  
1 : UMI 233 /U1175 TransVIHmi
IRD, Inserm, Université de Montpellier, UCAD, UY1

En Afrique subsaharienne, en une décennie, l'accès universel aux traitements antirétroviraux a permis d'infléchir la mortalité du VIH/sida avec la mise sous traitement de 13,8 millions de malades. Ces avancées thérapeutiques historiques incarnent une réussite emblématique des nouvelles politiques globalisées de santé. Au niveau interventionnel, cet enchantement politique s'illustre par la mise en œuvre de programmes d'excellence innovants dans des populations comme les adolescents vivant avec le VIH, longtemps négligés par les politiques internationales. Ces programmes d'excellence comprennent par exemple l'information et l'éducation thérapeutique des adolescents, la pair-aidance, la prise en compte des spécificités de genre ou encore, le ciblage des populations clés (usagers de drogues, travailleuses du sexe, hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes).

Cette communication propose une analyse critique de l'ambivalence de ces programmes d'excellence, qui figurent ce que nous dénommons des « enclaves sociosanitaires ». De fait, ces programmes qui bénéficient d'appuis technique, financier et scientifique spécifiques sont « isolés » du reste du système de santé. S'ils sont porteurs d'avancées sociosanitaires, leur développement à une large échelle au niveau national révèle des fragilités structurelles autant que politiques. À partir d'une enquête ethnographique menée entre 2013 et 2015 à Dakar (Sénégal) au sein d'un service de pédiatrie de référence, nous proposons d'analyser ces « enclaves sociosanitaires » sur le plan de l'enchantement et du désenchantement politiques et interventionnel. Plus spécifiquement, il s'agira d'une part de décrire et de décrypter les succès de ces programmes, révélateurs des avancées majeures réalisées dans le domaine de la santé en Afrique et d'autre part, de mettre en lumière les défis que posent leur reproductibilité, le passage à l'échelle et/ou leur décentralisation.

La communication sera structurée en trois parties. La première partie proposera une analyse sociohistorique du traitement politique et programmatique dont les adolescents vivant avec le VIH au niveau des politiques internationales et nationales depuis le début de l'épidémie. La deuxième partie décrira ethnographiquement les innovations médicales, cliniques et psychosociales mises en œuvre au sein d'un service de pédiatrie de référence pour accompagner aux mieux les adolescents, dévoilant dans le même temps, les nouvelles formes de subjectivations que ces dispositifs sociotechniques révèlent chez les adolescents. La troisième partie s'intéressera au désenchantement politique inhérent à ces « enclaves sociosanitaires ». Nous mettrons plus particulièrement en exergue leur fragilité institutionnelle et financière à moyen et long termes ainsi les défis posés par leur reproductibilité dans le contexte de systèmes de santé structurellement faibles. Dans le cas de l'infection à VIH, les agences onusiennes (OMS, ONUSIDA) ayant fixé l'ambitieux objectif d'éradiquer l'épidémie à l'horizon 2030, il s'agira plus spécifiquement d'interroger, les effets « désenchanteurs » de pression programmatique imposée aux instances sanitaires nationales.

Au final, cette communication éclaire l'ambivalence des programmes d'excellence inscrits entre enchantement et désenchantement. En effet, s'ils illustrent la faisabilité et l'efficacité de pratiques innovantes, révélatrices de l'émergence d'une médecine moderne centrée sur le patient, ils révèlent également leurs fragilités liées aux faiblesses structurelles des systèmes de santé et la multiplication des politiques globalisées en santé en Afrique. 


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