La Conférence Mondiale sur l'Éducation qui a eu lieu en 1990 à Jomtien est généralement considérée comme un tournant décisif dans l'histoire du développement de l'éducation. Jomtien marquerait l'apogée de l'enchantement avec l'idée que l'éducation est l'un des meilleurs investissements pour le progrès social dans les pays en voie de développement. Son engagement pour l'Éducation Pour Tous (EPT) a été perçu comme une action audacieuse et inédite. Lorsque l'enseignement primaire universel a été inscrit comme le deuxième Objectif du Millénaire pour le Développement (2000), l'EPT semblait faire le consensus. Au moment où les Objectifs du Développement Durable (OMD) ont été adoptés (2015), le critère de « qualité » a été ajouté à l'ambition de l'enseignement primaire universel. Cette modification reflète le reproche fait aux OMD d'avoir trop mis l'accent sur l'élargissement de l'accès à l'école plutôt que sur le contenu de l'éducation.
Cette intervention vise à placer dans son contexte historique l'« enchantement » du mouvement EPT et le « désenchantement » qu'il a suscité dans les débats contemporains sur le développement. Je commencerai par une analyse de la célèbre Conférence des Ministres Africains de l'Éducation Nationale organisée par l'Unesco en 1961 à Addis-Abeba, qui a également été saluée comme un tournant décisif dans l'éducation mondiale. Ensuite, je prendrai la Côte d'Ivoire comme étude de cas pour retracer le « désenchantement » progressif qui a suivi la Conférence pendant les années 60 et 70.
Je soutiens que les PAS de la Banque Mondiale dans les années 1980, qui constituent l'apogée du « désenchantement » des réformes éducatives, peuvent être liés directement à l'euphorie ayant marqué la conférence de 1961 à Addis. Seules les réductions sévères du budget éducatif sous le régime des PAS ont rendu possible le « ré-enchantement » de l'éducation que la communauté mondiale a vécu à Jomtein.
D'un point de vue ancré dans l'histoire africaine, l'aspect novateur de la conférence à Jomtien n'était pas la naissance du mouvement EPT, mais la collaboration inédite de l'Unesco et de la Banque Mondiale pour promouvoir l'éducation universelle. Au cours des années 1970, la Banque Mondiale a tenté de marginaliser les efforts éducatifs de l'Unesco en préconisant une approche axée sur les données pour évaluer les résultats d'un projet. L'Unesco, qui se méfiait de l'accent mis par la Banque Mondiale sur l'efficacité des projets éducatifs, a perdu du terrain pendant les années 70, lorsque les économies africaines se sont écroulées sous le poids de budgets gonflés. La coopération entre ces deux organisations internationales sur le mouvement EPT à partir de 1990 a révélé non seulement la prise de conscience par la Banque Mondiale des ravages que les PAS ont produits, mais aussi un nouvel ordre international rendu possible par l'essoufflement de la Guerre Froide.
Ce cadre historique propose une perspective novatrice sur le « tournant décisif » du mouvement EPT.