Ma communication examine la connivence entre dieux, initiations et éligibilité dans des villages jàa du Sud Ouest du Burkina Faso. Les biographies et les généalogies de conseillers municipaux élus en 2006 et en 2012 indiquent, en apparence, que les pouvoirs politiques et religieux se cumulent dans le cadre de l'élection du fait de la sédimentation historique d'institutions politiques et administratives plurielles. Elles révèlent, en réalité, que cette connivence tient à une « structure historique » du pouvoir fondée sur la circulation dans les villages jàa. Cette structure éclaire l'identité clivée d'« originaires étrangers » des chefs, qui est héritée au sein de lignées. Mais si cette identité spatiale relève de l'expérience empirique et historique de l'espace géographique, elle est aussi reproduite dans la symbolique des initiations et des dieux définissant l'éligibilité et le pouvoir (dawυɔr).
Les élus locaux sont des « autochtones » et des « étrangers ». Membres des clans des chefferies de terre où ils occupent des positions variables, ils sont aussi « étrangers » à l'égard soit de leur village d'élection, soit de leur village d'origine parce qu'ils sont nés ou résident en ville et ont voyagé sur le territoire burkinabé ou à l'extérieur du pays. La circulation dans l'espace et le temps constitue ainsi un repère au travers duquel analyser l'éligibilité et, plus largement, l'histoire du pouvoir dans la société jàa. Les élus appartiennent aux clans des chefferies de terre et sont de ce fait reliés aux ancêtres fondateurs des villages, mais leurs ancêtres sont eux-mêmes des migrants qui ont quitté le Nord du Ghana au milieu du XVIIIème siècle. La société jàa est en effet née d'une migration originelle, qui est réactualisée périodiquement dans le cadre de l'initiation au Jɔ́rɔ́ à laquelle ont participé plusieurs élus. L'initiation grave ainsi dans le corps des élus initiés leur origine « étrangère ».
Les élus sont aussi des descendants d'anciens combattants revenus de France et d'Indochine et des fils de migrant de Côte d'Ivoire. « Autochtones » dans leur village d'origine, leurs aînés ont été perçus comme des « étrangers » à leur retour au village. De leurs aînés, les élus ont ainsi hérité, non seulement de cette identité pour partie « étrangère » issue du voyage, mais aussi de dieux anti-sorcellerie dont la symbolique rappelle un principe de circulation entre le « dedans » de la maison, de la cour, du village et du « pays jàa » et un « dehors » comminatoire. Ce sont Lompo, le dieu de la chasse qui est associé à la brousse, et Dahuru, le dieu de la guerre qui, outre le fait qu'il a été pris aux Gourmantché par l'entremise d'une femme jàa, renvoie aux villages et aux pays des ennemis.
Circulations empiriques traçables sur le sol et symbolique spatiale de la circulation sensible dans l'initiation au Jɔ́rɔ́ et dans la personnalité des dieux Lompo et Dahuru définissent ainsi conjointement la tension entre « autochtonie » et « extranéité » dans l'éligibilité. Elles décrivent les deux logiques spatio-temporelles, symbolique et empirique, du pouvoir en lui conférant l'image d'un carrefour et en questionnant, plus largement, les termes et les conditions d'une modélisation spatiale du pouvoir.