La question de la mémoire et de la mémorialisation a été reposée en Afrique du Sud à la suite du massacre de Marikana, en août 2012. La mort de trente-quatre mineurs en grève abattus par la police a marqué le pays et éveillé des tensions relatives à la mémoire nationale et la persistance du passé dans le présent. Dans le contexte post-apartheid, les processus mémoriels opposent habituellement un passé marqué par la violence et l'oppression à un présent envisagé comme démocratique et égalitaire. Pourtant, les échos ressentis entre Marikana et les massacres de l'apartheid (Sharpeville en tête) ont créé une collusion entre passé et présent, qui a eu pour effet la peur quasi-immédiate de voir effacer le souvenir de Marikana, et la nécessité ressentie comme urgence d'assurer ce que nous proposons d'appeler une « mémorialisation du présent ».
Nous proposons ici l'analyse d'œuvres d'artistes engagés dans cette mémorialisation. Marqués par l'héritage de la lutte contre l'apartheid, mais mobilisant de nouvelles formes et formats (audiovisuels, performatifs et d'arts de rue), ces nouvelles générations d'artistes proposent l'art comme remède à une supposée amnésie sud-africaine. Parmi ces projets, nous proposons de mettre en avant deux films : un documentaire à portée internationale, Miners Shot Down (Rehad Desai, 2014), un documentaire expérimental d'Aryan Kaganof, Night is Coming (2014), ainsi que deux projets situés dans l'espace public : Rotting Treasures, une performance de Khanyisile Mbongwa et Lindokuhle Nkosi créée pour le festival Infecting the City ainsi, enfin, que les travaux du collectif de street art Tokolos Stencils.
Nous nous proposons d'analyser les stratégies de mise en scène développées par ces artistes pour poser la question de la mémoire à l'inverse : en s'assurant de la préservation du souvenir, les artistes se posent ici comme faiseurs, ou transmetteurs, de mémoire, s'inscrivant à l'origine d'un héritage à laisser aux générations présentes et futures.