Retours sur "l'ANR Touat". Penser les relations entre le Touat et la boucle du Niger dans un temps long
Hadrien Collet  1@  
1 : IMAF  (Institut des mondes africains)  -  Site web
Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne
9 rue Malher -  France

Le commerce transsaharien est depuis longtemps l'une des portes d'entrée vers l'histoire du Soudan occidental au Moyen Âge et à l'époque moderne. Il est communément admis que, dans le sillage des caravanes, l'islam se diffusa vers le Sud et s'implanta fermerment au Sahel. Les produits offerts par le Soudan occidental, le "Bilad al-Sudan" de la science géographique et historique arabe, l'or en tête, ont conduit les marchands du Nord à parcourir le Sahara et participé de l'apparition d'un système-monde, d'échanges commerciaux et culturels, actif sur plus d'un millénaire (8e-19e siècle) avec une intensité variant selon les époques. Dès le départ, les négociants musulmans du Maghreb ont du faire avec une contradiction. Au sein des Etats médiévaux du Nord, les premiers grands juristes malikites déclarèrent le commerce au/avec le Bilad al-Sudan illicite. Sahnun (m. 854), l'un des pères fondateurs de la tradition légale malikite de l'Occident musulman, émit par exemple des avis en ce sens. Est-ce à dire que ce commerce fut considéré par les Etats médiévaux musulmans du Nord comme évoluant en dehors de tout cadre légal, surtout en cas de litige ? Il manque aujourd'hui une monographie ou des études sur le commerce transsaharien à partir des sources juridiques avec un point de vue multipolaire (maghrébin, saharien et sahélo-soudanien) et une périodisation étendue (8e-19e siècle).

A partir du sultanat Songhay (1464-1591), une relation privilégiée se noue entre le grand Touat et la boucle du Niger, et notamment la ville de Tombouctou, où une communauté de touatis est implantée. I. Warscheid, dans sa belle thèse, a mis en lumière l'apport des sources juridiques pour étudier les sociétés du Touat à la croisée d'une histoire sociale et prosopographique et d'une anthropologie du fait religieux. Il a mis en lumière les ressorts expliquant pourquoi à partir du 18e siècle, les lettrés du grand Touat se mirent à compiler des nawazil, témoignant d'une culture à la fois locale, saharienne et maghrébine. Or, cette littérature jurisprudentielle compilant des cas d'espèce, dont certains remontent aux juristes du haut Moyen Âge, a des choses à nous dire sur la façon dont était considéré le Bilad al-Sudan du point de vue du droit.

Bien que notre étude s'appuie pour le moment sur un nombre limité de sources, il est possible de repérer déjà, tout en restant prudent, une évolution dans la manière dont la boucle du Niger fut perçue dans le temps grâce aux recueils de nawazil émanant du Touat. Il s'agira ici de présenter "l'ANR Touat" qui aura été conlue en avril, et notamment les résultats de notre travail dans le cadre de ce programme de recherche. Les manuscrits du Touat, jusqu'ici ignorés par les historiens du Soudan occidental, doivent désormais être considérés pour mieux penser et écrire la relation du Sahel à son Nord, les questions liées à l'islam et le commerce transsaharien.


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