En Afrique de l'Ouest, le recul des investissements publics, consécutif aux plans d'ajustement structurel, a amené les gouvernements à se tourner vers des investisseurs privés ou des fonds souverains pour financer le développement agricole dans le secteur irrigué. Ces investisseurs proposent des modèles agricoles avec une forte intégration agro-industrielle, ciblant des espaces où prédomine souvent l'agriculture familiale. Les partenariats publics-privés (PPP) sont promus, tout comme l'émergence d'acteurs (entrepreneurs agricoles) intermédiaires pour développer l'agriculture.
Au Sénégal, les pouvoirs publics ont entrepris des réformes politiques et institutionnelles qui traduisent une vision du développement rural orientée vers des filières "à haute valeur ajoutée" et la promotion de l'entrepreneuriat privé agricole. La vallée du fleuve Sénégal, une des zones phare du développement agricole sénégalais, a été identifiée comme région privilégiée pour le développement de dynamiques de production agro-industrielles permettant de relever les objectifs de production agricole fixés par le Gouvernement. Cette dynamique a été renforcée depuis 2000, par les régimes libéraux successifs qui ont impulsé une politique d'intensification de l'irrigation à travers la promotion de PPP.
A la faveur de différents dispositifs incitatifs à l'investissement mis en œuvre, un nombre croissant d'agro-industries s'installent dans le Delta et le Gouvernent souhaite renforcer les interactions positives entre agro-industries et exploitations familiales pour moderniser l'agriculture. Dans ce contexte, des controverses ont ainsi émergé et de nombreuses interrogations se posent sur les impacts des agro-industries sur la gouvernance foncière et leur coexistence avec d'autres systèmes de production. Les interactions entre agro-industries et populations locales se font principalement sous la forme de négociations à l'installation ou pendant les activités de production de l'entreprise. Dans ce cadre, la présente contribution s'intéresse à la dynamique d'insertion territoriale des différents modèles agricoles dans le Delta du fleuve Sénégal. Plus particulièrement, nous nous intéressons ici à réaliser i) un diagnostic territorial illustrant le contexte dans lequel les agro-industries assurent leur ancrage et insertion territorial et ii) une analyse des arrangements (rétributions ou compensations) négociés entre les différentes parties prenantes. Ce deuxième point à fait l'objet d'enquêtes de terrain réalisées auprès de populations locales, ainsi que des entreprises agro-industrielles.
Ce travail nous permet de mettre en évidence les démarches de négociations adoptées par les acteurs pour diverses demandes d'investissements. L'agro-industrie, mettant souvent en avant sa capacité à se substituer aux politiques publiques de développement, a la possibilité de contourner les règles en vigueur en s'assurant une légitimité sociale au niveau des paysans avant de faire régulariser ses demandes d'investissements. Nous montrons l'ensemble des démarches qu'une entreprise a à réaliser pour une obtenir une attribution ou réaliser un investissement sur des terres. Aujourd'hui, les mécanismes de suivi et de contrôle ne sont pas bien encadrés, laissant l'opportunité aux entreprises de répondre à des besoins spécifiques qui ne servent pas souvent l'intérêt général, comme souligné lors des travaux de terrain, ce qui n'assure pas également de bonne conditions de redevabilité des agro-industries.