Parmi les différents registres invoqués pour rendre compte de la crise Boko Haram (crise environnementale, pauvreté, marginalisation de régions périphériques, mobiles ethniques, générationnels, religieux), la situation de l'Etat occupe une place particulière. A partir d'une réflexion menée à l'échelle d'une région du lac Tchad définie comme l'aire d'influence directe et indirecte de la crise Boko Haram sur les quatre pays riverains du lac (qui comprend quatre Etats nigérians du Nord-Est, la région nigérienne de Diffa, le Nord et l'Extrême Nord du Cameroun et les régions tchadiennes frontalières), on peut considérer que les Etats riverains du lac Tchad, directement (par la manière de gérer la crise) et indirectement (par leurs insuffisances structurelles dans leurs fonctions de fourniture de biens publics depuis des décennies), occupent une place centrale dans la crise. Si les quatre pays concernés sont en apparence très différents les uns des autres, au niveau local, la nature de leur présence et la faiblesse de leur rôle développemental est comparable. Nous souhaitons ici discuter l'hypothèse selon laquelle un des nœuds de la crise réside dans l'articulation défaillante des pouvoirs centraux avec les pouvoirs locaux en charge notamment de la régulation de l'accès aux ressources naturelles. De là, nous questionnerons les ambiguïtés multiples du grand projet de transfert des eaux de l'Oubangui vers le lac Tchad comme tentative de relégitimation des Etats par une échelle d'action sous-régionale très éloignée du niveau local où s'enchâssent les tensions récentes, présentes et à venir.
Notre communication s'appuiera notamment sur les résultats d'une étude collective menée pour l'AFD, intitulée « La région du lac Tchad à l'épreuve de Boko Haram. Crises et enjeux de développement », à partir de travaux de terrain réalisés au printemps 2017.