La ville africaine dans tous ses Etats
François Moriconi-Ebrard  1@  
1 : Laboratoire Interdisciplinaire des Energies de Demain (LIED/PIERI)
CNRS : UMR8236

Suivant l'idéologie libérale, l'Etat serait devenu un ustensile obsolète pour le développement des villes. L'Afrique nous offre un panel d'une cinquantaine de pays qui permet de tester ce postulat en comparant quelques indicateurs statistiques urbains selon deux axes : d'une part, à niveau de résolution variable - de la hiérarchie générale observée au niveau national aux formes micro-locales d'urbanisme. D'autre part, à niveau d'administration variable – du « beaucoup d'Etat » à son absence quasi-totale.

Cet objectif nécessite quelques précautions méthodologiques. Si on ne retenait que les localités classées dans la catégorie statistique urbaine par chaque Etat, le résultat serait téléologique : le pouvoir politique, armé de ses statistiques nationales, ne nous montre que ce qu'il veut nous montrer. L'échantillon des données utilisées mobilise environ 8 000 agglomérations de plus de 10 000 habitants dont la définition a été préalablement soigneusement harmonisée, et qui sont retenues quel que soit leur statut officiel, urbain ou non, dans leur pays. Cet échantillon non officiel permet en quelle que sorte d' « éliminer » l'action directe de l'Etat sur la représentation statistique. La confrontation entre les échantillons « officiels » et « non-officiels » de certains Etats présente déjà un grand intérêt heuristique.

Cependant, cette contribution ne se résume pas à démontrer l'existence de ce biais, mais tente d'aller plus avant dans la compréhension de l'influence de la sphère politique sur certaines caractéristiques des villes. Les hypothèses théoriques s'appuient sur l'épistémologie probabiliste de la distribution rang-taille. Elles sont désormais acceptées in extenso en géographie aussi bien qu'en économie spatiale : moins l'Etat intervient, plus le « hasard » tend à lisser les distributions qui s'ajustent à une forme linéaire conforme au modèle de Zipf. Au contraire, plus sa présence est pesante, plus on observe des déformations de la courbe : forte primatie, déficit de certaines catégories de villes, etc.

Si ce cadre de pensée a permis de formaliser certaines notions théoriques – équilibre des systèmes, hiérarchie, interdépendance, etc. - il est toutefois totalement inutile, en pratique, aux politiques de développement. La question essentielle du hasard est de savoir à quelle échelle il se loge. Ainsi, l'absence d'Etat n'implique pas nécessairement l'absence de Politique, lequel s'avère en Afrique extrêmement efficace – ou non – à une autre échelle de l'administration, par exemple locale.

La conclusion suggère finalement de réhabiliter une grande question éludée avec l'essor de la géographie théorique quantitative dans les années 1970-1980 : le rôle du Politique dans la configuration des systèmes urbains.


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