Mourir en immigration. « Faire famille » à l'épreuve de la mort
Valérie Cuzol  1@  
1 : Centre Max Weber
École Normale Supérieure - Lyon, Université Lumière - Lyon 2, Université Jean Monnet [Saint-Etienne], Centre National de la Recherche Scientifique : UMR5283

En contexte d'immigration, la mort pose la double question de l'inscription sociale du groupe minoritaire sur le territoire d'installation et celle de sa capacité à produire une trace, et par là une mémoire de l'histoire migratoire susceptible d'être transmise. Chargée d'intentionalité, pour le groupe et pour soi, le choix du lieu de sépulture devient un enjeu complexe, si bien que lorsqu'un décès survient, il constitue la première décision à prendre pour la famille parmi toutes les étapes de l'organisation des funérailles, et soulève a priori la question des appartenances territoriales. Dans une trajectoire migratoire rompue par l'émigration où enterrer le défunt ? Présent aux uns, absent aux autres, comment s'arbitre les choix ? La communication propose d'interroger comment se négocie l'absence pour l'émigré d'origine maghrébine mais également pour ses descendants. Elle s'appuie sur une étude en cours1 qui met en lumière les dommages de la migration dans les trajectoires familiales, le poids des « prérogatives » mortuaires des différents collectifs d'appartenance sur les pratiques funéraires et les arrangements nécessaires pour s'en accommoder. Ainsi, c'est non seulement le rapport à l'espace et aux territoires absents qui sera questionné mais également le rapport au temps et ses enjeux mémoriels à travers la question du choix de sépulture. Dans un premier temps, quelques éléments de cadrage permettront de mettre en contexte des pratiques et des discours et tenteront de documenter les usages d'immigrés d'origine maghrébine face à un décès, tout en dressant un portrait du réseau d'intervenants locaux et transnationaux qui structurent les pratiques funéraires sur le territoire d'enquête.
Dans un second temps, il s'agira de mettre en évidence que la migration endommage la mémoire de la lignée familiale et de la communauté d'origine. Elle produit des cassures dans la parenté mais aussi dans les fratries. Entre ruptures et continuités, les choix funéraires tentent de « faire famille », de mettre de l'ordre et fabriquent un ancrage c'est-à-dire la permanence à un lieu et à une lignée.
Cependant, la mort en migration, et celle des immigrés de confession musulmane en particulier, est un fait social complexe qui charrie des enjeux sociopolitiques et identitaires importants. Entre réparations symboliques et résistances, la vitalité des rapatriements post-mortem, même pour des individus jeunes, interroge car en tentant de maintenir des filiations, elle produit des ruptures, de l'impermanence et de l'absence sur le territoire d'installation. A moins que cela ne soit l'esquisse d'une autre façon d'être présent au monde, de réactiver l'inscription du groupe aux territoires absents et d'actualiser des appartenances plurielles.

Cette contribution s'inscrit dans une démarche qualitative et poursuit une première étude réalisée en 2013 sur la mémoire immigrée à Chalon-surSaône. Elle combine enquête documentaire, observations et entretiens individuels et collectifs. A ce jour, plusieurs entretiens ont été réalisés avec des acteurs institutionnels, professionnels et religieux. A cela s'ajoute une trentaine d'entretiens biographiques menés sous la forme de récits de vie et de photographies auprès d'immigrés et de descendants d'immigrés maghrébins, originaires majoritairement d'Algérie et du Maroc, et dans une moindre mesure de Tunisie. 


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