Maintenir le lien à distance. Entre distension et contraction du lien familial en migration
Nadia Mounchit  1@  
1 : Centre Max Weber
École Normale Supérieure - Lyon, Université Lumière - Lyon 2, Université Jean Monnet [Saint-Etienne], Centre National de la Recherche Scientifique : UMR5283

Marqueur biographique, la migration bouscule non seulement la routine de celui qui part mais aussi celle de son groupe familial dont elle le détache, tout au moins physiquement. La situation migratoire impose de composer avec la distance géographique et d'adopter de nouvelles temporalités. À partir d'une recherche doctorale autour des parcours migratoires de femmes originaires d'Afrique de l'Ouest et centrale immigrées en France depuis au moins dix années, cette communication vise à interroger les formes du lien à la famille après le départ. En effet, comment les émigrantes maintiennent-elles un lien avec leur famille, avec leurs parents en particulier et leur fratrie ? Sous quelles modalités ou conditions ce lien vit-il ? Et, enfin, qu'est-ce qui vient finalement motiver la recherche d'un maintien du lien au pays d'origine dix, vingt, trente ou quarante ans après la migration en France ? 

Les matériaux rassemblés à l'issue d'entretiens biographiques réalisés avec une quarantaine de femmes émigrées ont permis de relever des modes concrets de maintien du lien familial, notamment via les traditionnelles communications téléphoniques ou, aujourd'hui, le recours fréquent aux applications de télécommunications. Le lien apparaît aussi s'exercer à travers l'investissement et le soutien financier vis-à-vis des proches dans le pays de départ. Mais ici, le don matériel ne se fait pas sans tensions caractérisant « le circuit affectif des envois de fonds » (Oso Casas, 2013),[1] dans un contexte où une pression pécuniaire s'exerce presque inévitablement sur celles qui sont « parties en Europe ». Une attention particulière sera portée aux retours au pays qui laissent apparaître les attentes et les habitudes que la situation migratoire a re-façonnées. Ainsi, les modalités de ces retours (lieu, fréquence et durée de séjour) et leurs raisons (retrouver ses parents encore en vie, prendre part aux évènements familiaux ou faire connaître aux enfants nés en France leurs origines et leurs affiliations) se voient pensées et anticipées par les femmes migrantes.

L'examen des formes du lien familial en contextes de départ africains, où la famille est un espace de vie et de socialisation tout à fait central, donne à voir les modifications qu'induit la migration sur « le temps subjectif » (Gire, 2016)[2] des familles. Entre communications téléphoniques régulières et absence physique quotidienne, entre moments festifs de retrouvailles et sollicitations matérielles, on assiste à la fois à une contraction et à une distension des liens et des temps familiaux en migration. L'observation des parcours de vie poursuivis en France par les femmes enquêtées est aussi l'occasion de constater que les séjours dans les pays d'origine tendent moins à constituer des retours « chez soi » que des « visites » au pays.

[1] Oso Casas Laura, « Argent et/ou amour : envois de fonds, accumulation d'actifs et mobilité sociale des familles de migrant-es équatorien-nes », in Verschuur Christine et Catarino Christine, Genre, migrations et globalisation de la reproduction sociale. Cahiers Genre et développement, Paris, L'Harmattan, n° 9, 2013, pp. 195-203.

[2] Gire Pierre, « Philosophie du temps : quelques repères », in Aubourg Valérie et Eid Georges, Familles et temps. Modification des liens conjugaux et parentaux, Paris, L'Harmattan, 2016.


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