Prier pour migrer. Quand les esprits familiaux croisent des esprits non-malgaches
Olivia Legrip-Randriambelo  1@  
1 : LADEC
Université Lyon 2

Adeptes et officiants du culte sollicitent un registre récent d'esprits qui ont migré, leur permettant de s'actualiser et de s'adapter aux nouveaux contextes et aux nouveaux besoins. Perçus comme des étrangers intimes, plus à même de traiter ces besoins, ces esprits se greffent à une parenté ancestrale réinventée, opérant ainsi un changement du paysage religieux et des lieux cultuels. Dès lors, les temps croisés entre migration et religieux sont repensés en parallèle de l'ancestralité et parfois en dehors des agencements familiaux. Si la communication établie avec les esprits régionaux ou nationaux est présente, celle avec des esprits non-malgachophones est tout aussi récurrente chez Julienne, une devin-guérisseuse malgache. Son réseau d'esprits se compose de six esprits étrangers qu'elle nomme ainsi : un Sud-africain, un Soviétique, un Comorien, un Français et deux Arabes (un homme et une femme dont l'origine précise est indéterminée). Ces esprits sont captés par le réseau d'entités surnaturelles de Julienne et répondent à des demandes contextuelles auxquels des esprits malgaches ne peuvent pas répondre. Le Comorien et le Sud-africain savent s'exprimer en langue malgache et, sans avoir jamais appris, Julienne a les capacités de comprendre et de s'exprimer en arabe. En revanche, lorsque les esprits français et soviétique se manifestent à travers le miroir divinatoire, le fanahy traducteur (littéralement, « esprit traducteur ») apparait. L'intérêt de présenter un panel d'esprits comme celui de Julienne est bien de noter la différence majeure de présentation entre ces esprits migrants et les esprits malgaches. En effet, ces derniers sont toujours très précisément inscrits dans un territoire. Une de ses patientes se destinait à une vie monastique dans les ordres catholiques et a déjà effectué deux pré-noviciats, l'un en Belgique (Bruges) et l'autre au Kenya (Nairobi). Aujourd'hui, elle souhaite poursuivre des études supérieures ou rejoindre une congrégation, selon les possibilités qui lui seront offertes, en France ou en Belgique. La guérisseuse mobilisera un esprit mondialisé au passé de migrant au nom francophone. Julienne précise que les premiers brouillons des deux lettres destinées au responsable de la congrégation religieuses en charge des documents administratifs d'accueil de la patiente à l'étranger, seront présentés à l'esprit : Jean-Claude Grebon. L'arrivée et l'intégration d'esprits transnationaux et désormais installés à Madagascar participent de la « transformations des paysages par les pratiques religieuses » (Dejean et Edelstein, 2013). En effet, les demandes renouvelées des patients en termes de migration, l'ouverture des devins-guérisseurs à des formes de religiosités autres favorisent les emprunts. Cependant la volonté de migrer de la patiente, autrement dit de quitter son territoire ancestral, instaure une nécessité de s'en remettre à des esprits éloignés de sa parenté, eux-mêmes lointain de son territoire ancestral. Jusqu'ici il a fallu « replacer le local au cœur du transnational et le transnational au cœur du local » (Argyriadis, Capone et al., 2012), mais les esprits migrants et leurs compétences sur le terrain malgache invite à repenser la proximité d'une géographie religieuse mondialisée.


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