Instrumentalisation des identités soufies : fabriquer sa généalogie: étude de cas de la zaouiyaBoutchichiya au Maroc
1 : Université Mohamed V - Rabat
- Cette communication traitera de la question de l'instrumentalisation de l'histoire et de lagénéalogie de la confrérie al-qadiriya al-boutchichiya. Elle s'appuie sur un travail deterrain (2011-2014) qui a permis de révéler l'existence de tensions entre l'histoire tellequ'elle est proposée par la hiérarchie de la zawiya et l'histoire telle que j'ai pu lacomprendre. Je souhaite moins faire une analyse archéologique ou historique de lazawiya que de poser une toile de fond nécessaire à la compréhension des cadres actuelsobservés dans lesquels se formulent les pratiques.La confrérie al-qadiriya al-boutchichiya fabrique l'histoire de sa généalogie en faisantappel à de multiples méthodes comme la réécriture permanente des différents arbresgénéalogiques et la mise en conflit du rapport entre l'oral et l'écrit. Cette démarched'instrumentalisation identitaire est motivée par un souci de centralisation del'information et de contrôle du discours sur la zawiya. En ce sens, je soutiens, à l'instarde Rhani (2014a : 57) que les versions orales d'une histoire, celle en l'occurrence d'uneconfrérie ou d'un lignage maraboutique, ne peuvent prendre une forme discursivelégitime et légitimante que si elles sont reformulées, ou retravaillés, par l'écriture.Cette communication s'intéresse ainsi, dans un premier temps, à la place qu'occupe lediscours dans les pratiques et à la manière dont la démarche praxéologique permet desaisir l'absence de décalage entre les discours et les pratiques, car le discours constitue ensoi une pratique. Aussi, malgré la marginalisation de l'oralité, les récits sont toutefoislargement répandus parmi les disciples qui y accordent une grande importance. Dans laplupart des cas, ces récits prennent même un caractère mythique, surtout quand ilsracontent l'histoire héroïque des saints de la famille Boutchich. Dans un deuxième temps,sont analysées les dynamiques discursives et les pratiques autour des formulations del'identité historique et généalogique de la famille Boutchich, ainsi que de ses fidèles etsympathisants. On ne cesse de présenter les documents, manuscrits, articles de journaux,testaments, arbres généalogiques, comme des preuves irréfutables de l'appartenance desBoutchich tant à la famille du Prophète qu'à l'histoire locale de la sainteté, ce quireprésente un champ d'instrumentalisation bien réfléchi par la hiérarchie. Or, les maîtresde la confrérie ont connaissance de ces versions orales et tentent alors d'en contrôler ladiffusion en dehors des cercles informels des sympathisants et des disciples.Nous verrons que l'une des caractéristiques majeures de l'instrumentalisation dumysticisme marocain est la fusion entre filiation biologique et affiliation spirituelle. Si
- chaque confrérie se distingue par une organisation différente et surtout par des pratiqueset des méthodes rituelles propres, l'affiliation par l'initiation (silsila) – qui favorise ladimension personnelle du disciple et la qualité de son lien avec le cheikh – a fini par sesuperposer à une transmission généalogique (chajara), si bien que la zawiya, qui estessentiellement une organisation translocale, tend parfois à se confondre avec un lignagemaraboutique. Notre contribution tente de questionner les multiples manières de la« fabrique » de l'histoire et de la généalogie dans cette grande confrérie soufie