Cette communication propose d'interroger les enjeux à la fois méthodologiques, éthiques et scientifiques posés par l'étude d'un corpus de sources fragmentaires et disparates récoltées au Mali. Ce corpus est composé de lettres conjugales (6 lettres rédigées par un homme polygame à sa 1ère épouse entre 1950 et 1967), de lettres d'amour extraconjugal (12 lettres rédigées par une femme mariée à son amant entre 1988 et 1992) et du journal intime d'un jeune homme « polyamoureux » dans les années 1960. Ces matériaux ont en commun d'avoir été produits par des individus appartenant à « l'élite » lettrée et urbaine de Bamako (des enseignant.e.s et un élève), d'avoir été rédigés en langue française et d'évoquer des questions amoureuses, sentimentales, sexuelles et familiales. Ils sont également traversés par les évènements politiques qui forgent l'histoire du Mali contemporain : décolonisation et mise en place d'un régime de type socialiste (années 1950-1960), dictature militaire et révolution de mars 1991. Mais au-delà de ces traits sociopolitiques communs, que nos apprennent ces sources sur le sentiment amoureux et sur la manière dont se vit, s'expérimente, se formule le désir dans la société malienne de la seconde moitié du XXème siècle ? Si les travaux de recherche ont principalement enquêté sur l'amour en Afrique à partir de sources orales[1], cette communication souhaite interroger la richesse des sources écrites et les problèmes méthodologiques qu'elles comportent (anonymisation, mise en série, publication). Il s'agira de saisir les modalités d'énonciation de ce sentiment et ses variations en fonction du genre, de l'âge, de la génération des individus ainsi que de la configuration de la relation amoureuse[2]. Quels sont les éléments qui relèvent du dicible et de l'indicible, quels sont les stéréotypes véhiculés ou encore les horizons d'attente qui forgent, selon les contextes historiques, le désir amoureux ? Ces sources de l'intime seront confrontées à d'autres types de matériaux écrits (archives administratives, autobiographies) et à des entretiens réalisés à Bamako autour d'histoires de couples. Ces croisements permettront de saisir les écarts dans la formulation des affectes et de questionner la manière dont l'écrit peut – parfois ? - libérer une parole amoureuse et érotique que d'autres supports n'autorisent pas.
[1] Gérard Dumestre et Touré Seydou, Chroniques amoureuses au Mali, Karthala, 1998, 306 p.
[2] Cole Jennifer, Thomas Lynn M. (eds.). — Love in Africa. Chicago, The University of Chicago Press, 2009 ; Barthélémy Pascale. « « Je suis une Africaine... j'ai vingt ans ». Écrits féminins et modernité en Afrique occidentale française (c. 1940-c. 1950) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 64, n° 4, 2009, pp. 825-852.