« Modèle voyageur » de l'approche gestionnaire des migrations : du « profil migratoire » à l'élaboration d'une politique migratoire au Sénégal.
Marie-Dominique Aguillon  1@  
1 : Laboratoire Population-Environnement-Développement
Institut de Recherche pour le Développement : UMR_D151, Aix Marseille Université : UMR_D151

La notion de Migration management est étroitement liée à l'évolution des politiques migratoires dans le monde, et spécifiquement des politiques européennes et africaines. Depuis la fin des années 1990 les mesures européennes destinées à renforcer les contrôles aux frontières, à associer migration et sécurité et à encourager les États d'Afrique à lutter contre les migrations dites « clandestines » se sont multipliées. Les États au Maghreb et en Afrique de l'Ouest ont, suivant les cas, consenti, négocié ou résisté à appliquer le cadre impulsé par l'Union Européenne (UE) (Bigo 1998, El Qadim 2010, Gabrielli 2011, Guiraudon 2010, Perrin 2009, Rodier 2012).

Cette focalisation sécuritaire s'est accompagnée depuis les années 2000 d'un discours gestionnaire diffusé en Afrique méditerranéenne et subsaharienne par des acteurs tels que l'organisation internationale pour les migrations (OIM) et le centre international pour le développement de politiques migratoires (ICMPD) (Geiger, Pécoud, Walters 2010). L'OIM vise le « renforcement des capacités » (capacity-building) des Etats du Sud en matière de formulation de politiques migratoires. Un processus qu'elle a entamé au Sénégal depuis une dizaine d'années. Ce pays, à l'instar d'autres, fait l'objet de ce que l'OIM nomme le « profilage » migratoire[1] (OIM 2012, 25). Entre 2006 et 2011, l'organisation a réalisé les « profils migratoires » de trente-deux pays, dont dix se trouvent en Afrique de l'Ouest et centrale. L'OIM uniformise ainsi ses pratiques quelle que soit la région du monde où elle intervient. Ces « interventions standardisées » sont menées aussi bien à Madagascar, qu'au Cap Vert, en Albanie ou au Sénégal (Olivier de Sardan, Diarra et Moha, 2017, 74). En présentant ce qu'elle estime être les solutions et les approches les plus appropriées pour le Sénégal en matière de politique migratoire, l'OIM fait office d'« entrepreneure de normes » (Finnemore, Sikkink, 1998). Elle adopte une sémantique commune, la même méthode pour les mêmes fins.

Dans une perspective empirique il s'agit de donner à voir la construction de ce modèle voyageur dans le domaine de la « gestion des migrations ». Il s'agit de comprendre comment, au cours de sa mise en œuvre au Sénégal, il est soumis à divers contournements ou décalages découlant des interactions entre experts, décideurs politiques, acteurs des sociétés civiles et comment il se sédimente ou est dévié par la « revanche des contextes » (Olivier de Sardan, Diarra et Moha, 2017, 83). Il s'agit de comprendre aussi dans quelle mesure ce « mécanisme miracle » contribue à alimenter un marché de l'expertise (Olivier de Sardan, Diarra et Moha, 2017, 73), une nouvelle forme d'« industrie de la migration » (Hernández-León 2005), qui, au lieu de faciliter les mobilités des personnes, tire profit de leurs entraves et encourage les retours vers le pays de départ.


[1] « Le profilage permet de décrire et d'évaluer l'étendue, les effets et la gouvernance de la migration, en tenant compte de sa complexité et de sa variabilité » : OIM, Guide pratique : Profils migratoires : Exploiter au mieux le processus, Partie I, p. 25.


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