Les récents débats sur le Franc CFA ont pointé de nombreux blocages et des incohérences économiques, et notamment l'absence d'une réelle stratégie économique derrière les critères chiffrés de la convergence communautaire ou du respect du niveau de change, et par là, du niveau d'inflation.
Nous aimerions poursuivre ces réflexions en réfléchissant au poids symbolique sous-jacent à ce débat : non seulement le « Franc » rappelle de façon subliminale et quotidienne le passé colonial, mais il est le révélateur d'un certain nombre de problèmes rencontrés par des Etats africains sur le chemin du « développement ».
Ce débat permet de montrer, d'abord, qu'il faut aller au-delà de l'alternative « libéralisme ou protectionnisme » : il y a en effet une injustice criante à lever les barrières douanières à l'importation dans une zone où la monnaie est surévaluée. Quelle équité des échanges peut-il y avoir lorsque les conditions ne sont pas réunies pour une « libre-concurrence » ? N'y a-t-il pas beaucoup d'hypocrisie à se cacher derrière des positions idéologiques lorsque la compétitivité est muselée de l'extérieur ? Comment instaurer des échanges éthiques, y compris dans un contexte libéral, et donc une concurrence loyale – concurrence pour laquelle, par ailleurs, ces pays ne manquent pas d'atouts ?
Un deuxième point est la façade artificielle des indicateurs économiques de « stabilité » de la zone Franc, par rapport aux sacrifices permanents qu'implique, pour la population, le maintien de ces chiffres. Plutôt que de chercher à renforcer la « crédibilité » de la zone, ne vaudrait-il pas mieux travailler à créer un contexte économique où les échanges soient réellement « fiables » ? Il faut donc travailler à redonner sens aux échanges, en sortant peut-être d'une « gouvernance par les nombres » (Supiot), voire en faisant tomber ce qui pourrait apparaître comme un « masque blanc », au sens de Fanon. En nous appuyant sur la pensée décoloniale, nous chercherons à donner un sens constructif à l'indépendance monétaire, au-delà du simple rejet.
Enfin, dans des Etats où toute politique monétaire est rendue impossible par le maintien d'une inflation basse, mais où l'endettement est également contrôlé de manière drastique, force est de constater que la seule variable d'ajustement qui reste est la réduction du pouvoir d'achat, et donc le bien-être de la population. Ne faudrait-il pas au contraire penser un développement réellement humain, dans lequel l'inflexibilité changerait de camp et se situerait au contraire dans la défense farouche des intérêts de la population, comme le rappellent certains philosophes de l'économie (Méda, Viveret) ? On constate en effet, chez les défenseurs du Franc CFA, une forte rhétorique de la rigidité (« rigueur », « orthodoxie », « fixité », « discipline », « stabilité », voire « surveillance ») ; mais ces outils, marqueurs supposés de souveraineté économique, semblent utilisés à contre-temps, pour la défense d'intérêts qui ne touchent pas réellement les populations. Comment réorienter l'économie de la « zone Franc » vers la prise en compte réelle des intérêts humains ? C'est là, nous semble-t-il tout l'enjeu de la question du Franc CFA.