Si le régime de Sékou Touré (1958-1984) fait l'objet de vifs débats mémoriels, un aspect est en général porté à son actif aussi bien par ses thuriféraires que par ses détracteurs : le succès des troupes artistiques et des groupes musicaux des années 1960-1970. De fait, le premier président de la Guinée a promu un intense nationalisme culturel et a fait des artistes des ambassadeurs de la Guinée indépendante sur la scène internationale. Le succès des Ballets Africains de Fodéba Keïta (célèbres dès avant l'indépendance) puis d'orchestres de musique moderne comme le Bembeya Jazz National, dans les années 1960, en témoignent. Lors des festivals internationaux, tels le Festival Panafricain d'Alger de 1969, ils contribuent au rayonnement diplomatique de leur pays. A l'échelle nationale et locale, la politique culturelle encourageait, et parfois même, contraignait nombre de Guinéens à s'exprimer par la musique, le théâtre ou le folklore. L'accès de certains groupes à ces pratiques artistiques n'allait pas nécessairement de soi, et pouvait entraîner des tensions intergénérationnelles ou de genre.
Que reste-t-il, trente ans plus tard, de ces gloires artistiques et de ces initiatives culturelles ? La réflexion portera à deux niveaux. D'une part, on se demandera dans quelle mesure les succès des années 1960-1970 servent toujours de support à un imaginaire politique et national aujourd'hui, notamment auprès d'une jeunesse qui se reconnaît et s'identifie à des chanteurs de reggae et de rap. Quel sens revêt la renaissance de groupes tels que le Bembeya ou les Amazones aujourd'hui ? La question se pose aussi des usages politiques de ces symboles culturels depuis la mort de Sékou Touré. D'autre part, on analysera la mémoire ambiguë et différenciée des pratiques artistiques organisées dans le cadre du parti unique : différence entre le théâtre militant et les troupes musicales ; mais aussi dialectique subtile entre contrainte et opportunité, conformité idéologique et espaces de critique détournée, loisir nouveau ou renouvelé et pratique imposée.