Avec ses contradictions sociales et ses rebondissements politiques inattendus l'Afrique du Sud contemporaine parait être un lieu où tout peut chavirer à tout moment et où l'humour reste un ingrédient essentiel pour en finir avec cette forme de ségrégation qui s'appelait l'apartheid. L'art contemporain n'est pas une exception (van Wyk, 2011). Nombreux sont les artistes qui voudraient approcher les questions d'identité avec humour (Kahn, 2014). Il s'avère pourtant que ces autoreprésentations partant de l'intention de s'armer d'autodérision peuvent pour autant être perçus comme des signes d'une forme d'auto-victimisation. Si on veut trouver une véritable sensibilité du potentiellement drôle il faut chercher ailleurs. Notre étude propose d'interroger cette sensibilité à travers des pratiques artistiques centrées sur la parole orale et écrite, un champ d'investigations particulièrement fécond si on garde à l'esprit que l'Afrique du Sud est un pays avec 11 langues officielles. Le potentiel pour les malentendus et les coïncidences loufoques inattendus y semble multiplié.
Lors des années 90 Moshekwa Langa travaillait le malentendu à travers des collages et des dessins. Dans des courtes phrases ou des traductions de noms en Setswana, en Sésotho sa Leboa, en isiNdebele, en Afrikaans ou en Anglais, souvent présentés sous forme de liste, Langa faisait croire à une erreur qu'il corrigeait par la suite, ainsi attirant l'attention sur des glissements de sens, qui étaient à même de démontrer un aspect essentiel de la perversité du système de ségrégation.
Une génération plus tard de nombreux artistes commentent le quotidien à travers les complexités de l'utilisation du langage, par exemple Lerato Shadi (2014), Donna Kukama (2013, 2017) et Simnikiwe Buhlungu (2016). Produits pour des évènements prestigieux comme un vernissage de Biennale ou pour être vendu au coin de la rue, ces travaux prennent la forme de performances, d'actions participatives, de vidéos ou d'interventions dans l'espace public.
Parole écrite ou orale, le passage d'une langue à l'autre ou d'un medium à l'autre est un moment potentiel où le détournement peut se glisser et produire la surprise qui provoquera le rire. Ne pas chercher à éviter les malentendus et les violences sous-jacentes, voici bien un travail d'activiste, et, pourquoi pas, d'artiste ? (Coetzee, 2013).
Sources citées :
Simnikiwe Buhlungu, Free Lettering translationisms, Mark Pelzinger Verlag, Johannesburg, 2016.
Carli Coetzee, Accented Futures, Language Activism and the Ending of Apartheid, Johannesburg, Wits University Press, 2013.
Katja Gentric « Sugar & Salt, like licking your mother-tongue: translation and intergenerational humor in the work of South-African artist Lerato Shadi », dans Humor in de Kunst, Desipientia, Kunsthistorisch Tijdschrift, Randboud Universiteit, Jaargang 24 nummer 1, voorjaar 2017, p. 28 - 32.
Sharlene Khan, Postcolonial Masquerading: A Critical Analysis of Masquerading Strategies in the Artworks of Contemporary South African Visual Artists Anton Kannemeyer, Tracey Rose, Mary Sibande, Senzeni Marasela and Nandipha Mntambo, Goldsmiths, University of London PhD in Art, 2014.
Roger van Wyk, « The (Non)sense of Humour, Art, subversion and the quest for freedoms », dans Visual Century, South African Art in Context, Volume Three, 1973-1992, M. Pissarra (ed.), Wits University Press, Johannesburg, 2011, p.156 - 179.