Les modes théoriques dans l'industrie du développement se succèdent. Tous les ans, de manière cyclique, de nouveaux concepts, des derniers modèles théoriques apparaissent, disparaissent ou réapparaissent sous une forme renouvelée : la gestion des terroirs, les démarches participatives, la lutte contre la pauvreté, l'approche genre, la société civile, la bonne gouvernance, les budgets participatifs, la résilience, le renforcement des capacités, etc. Tous ces modèles sont essayés et habillent l'abondante littérature grise de l'expertise en développement (identifications de projet, termes de référence, rapports d'activité, évaluations, cartographies et capitalisations) produite par les innombrables projets de développement. Le secteur est dominé par quelques grands façonniers : la Banque Mondiale, l'Union Européenne, l'Agence Française de Développement, la coopération allemande (GIZ) ou la Banque Africaine de Développement. Comme dans la haute couture et ses « fashion week » annuelles, ces modèles théoriques permettent la tenue saisonnière de grands colloques réunissant des créateurs de concepts, des experts et des bailleurs qui font défiler sous leurs yeux leurs dernières créations jugeant l'esthétique du modèle plutôt que sa fonctionnalité : le signe importe plus que l'utilité.
Il est facile et réjouissant de filer la métaphore de la haute couture appliquée à l'aide publique au développement. En effet la métaphore de la haute couture et de l'habillement, considérés comme l'essence de la mode, appliquée à l'aide au développement, est particulièrement féconde. Cette efficacité de la métaphore (Ricœur, 2000) est le signe qu'il faut en dépasser l'aspect illustratif pour aller sur le terrain comparatif afin de comprendre le fonctionnement de la configuration développementiste (Olivier de Sardane 1995)
Contrairement à l'aide au développement, la littérature sociologique sur la mode est peu abondante (Godart, 2010). La mode est l'objet des regards du grand public mais, si les « fashion studies » ont développé des recherches inter disciplinaires riches, elle se regarde peu fonctionner elle-même, contrairement à l'aide au développement qui, se regarde beaucoup marcher en théorisant en permanence ses approches, ses concepts ou ses outils mais qui ne fait pas l'objet des mêmes enjeux symboliques auprès de l'opinion dans l'espace public. La mode, comme l'aide au développement, se définit difficilement à partir de son objet mais ils ont en commun qu'ils touchent directement au changement social, à l'intersection de nombreuses disciplines qui impliquent les sciences sociales et la technique.
La communication propose le rapprochement des deux secteurs. De la métaphore au rapprochement analytique, la comparaison de ces deux secteurs ouvre des perspectives d'explication sur les limites de l'aide au développement. Dans les deux cas, les bénéficiaires ne régulent pas leurs activités et les enjeux (pouvoir, capacité à mobiliser des fonds, prestige) sont liés à leurs discours, à leur image ou leur positionnement dans leur champ respectif plus qu'à leurs résultats.